vineri, 22 aprilie 2011

Histoire et politique. L'instrumentalisation et la mythisation de l'histoire dans la Roumanie communiste

Dès le début, l’écriture de l'histoire implique également un enjeu politique. Il existe cette tendance du présent à exercer un certain contrôle sur le passé. Ceci consiste à modéliser le passé, à le transformer en instrument politique en fonction des intérêts politiques et idéologiques contemporaines.
Le processus de dissémination et de socialisation de l’écrit historique détermine le désir de contrôler l’État, les parties, l'opinion publique sur l'écrit historique et la production historiographique.
L’état et/ou la société imposent l’autocensure de la recherche historiographique afin d’induire une image positive par rapport à une société. Au-delà de cette image positive, on retrouve des interdictions, des lacunes, des défauts intentionnels, des interprétations idéologiques du passé. La présentation du passé en fonction de l'intérêt politique du monde contemporaine a comme résultat des réalisations historiographiques montrant le passé en fonction des intérêts du présent. La modélisation du passé basée sur les intérêts du monde contemporain modifie l’histoire-réalité. Des contradictions, des silences, des exagérations positives sont imposées – toutes des éléments qui deviennent finalement histoire. Il s’agit d’une histoire dans l'histoire. Entre la politique et l'histoire il existe un rapport complexe, avec des similitudes et des différences, car les deux sont des champs de la connaissance humaine. La connaissance historique a un caractère strictement réflexif et est déterminée par un intérêt académique. La connaissance politique est destinée à développer un discours persuasif à l'appui du pouvoir. Les deux domaines se chevauchent étant donné que chacun peut instrumentaliser l'autre. Toutefois, les deux domaines - l’écrit historique et le discours politique - sont élaborés sur le plan symbolique. Les deux sont établies au même niveau chronologique et c’est pour cela que le rapport politique-histoire est analysé en fonction du lieu et du moment d’élaboration. La politisation de l'histoire est très ancienne mais le point culminant de ce processus s’est produit au XXe siècle. A présent, tandis que l'instrumentalisation de l’écrit historique, son institutionnalisation est exigée également. L'écrit historique a été mis au service des intenses institutionnelles afin de légitimer un régime politique, un état, une classe sociale, un parti, un type de société.
Pendant les régimes communistes, le parti unique est l'auteur de l'histoire et toute recherche qui s'écarte de l'enquête officielle est étiquetée comme non-scientifique et non-marxiste. Les origines de ces étiquettes se retrouvent dans la Russie soviétique, où on a émis l'hypothèse de l'existence de deux types d'histoire: une bourgeoise, non-scientifique et celle marxiste, scientifique. En URSS, l'écrit politique est devenu une politique d’Etat, et la légitimité du pouvoir du parti a été fondée sur l'histoire du parti puisque pour le Parti communiste de l'Union Soviétique, la classe ouvrière est l’héritière de l'histoire. Cette thèse sera celle de l'historiographie officielle de tous les pays asservis par l'Union Soviétique après la Seconde Guerre mondiale, y compris l'historiographie roumaine. L'idée que le parti peut gouverner seulement s’il est en convergence avec le développement historique a été enracinée. Ainsi, les historiens roumains, comme ceux d'autres états communistes, ne pouvaient pas éviter le contrôle du parti.
Si au cours des premières années de la République Populaire Roumaine, Petre Constantinescu-Iaşi, Mihai Roller, Leonte Răutu (pour lequel l’historien Gheorghe Brătianu est l’hitlériste Gheorghe Brătianu) se sont occupés de l'histoire, au IIe Congrès du PRM (1955), Gheorghe Gheorghiu Dej exige aux historiens d'élaborer un traité d’histoire de la Roumanie dans lequel on traite «du point de vue du marxisme-léninisme les réalisations de ces dernières années et on résout les problèmes fondamentaux de notre histoire, les problèmes du processus de formation du peuple roumain, de l'histoire contemporaine, de la périodisation de l'histoire. " [1. G. Gheorghiu-Dej, Des articles et des discours, Bucarest, 1960, p.145]
Immédiatement, plusieurs historiens sont devenus victimes de leurs écrits antérieurs. N. Fotino, parce que, dans un article sur la participation de la Roumanie à la Première Guerre mondiale n'a pas écrit sur la nature impérialiste de cette participation. Oţetea et Petre P. Panaitescu parce qu’ils ont sous-apprécié le rôle des masses. Maciu est critiqué pour ne pas avoir mis en évidence l’attitude hésitante de la bourgeoisie par rapport à la proclamation de l'indépendance et Eliza Campus parce qu’elle n’a pas critiqué la politique étrangère entre les deux guerres mondiales. [2.V. Georgescu, La politique et l’histoire. Le cas des communistes roumains 1944-1977, Humanitas, Bucarest, 1991, p.19]. En recevant l’ordre politique, les historiens officiels commencent à travailler, armés de la «méthode» soviétique de recherche. Lucian Boia appelle cette première étape de l'historiographie communiste roumaine, la phase antinationale. [ 3. L. Boia, Histoire et mythe dans la conscience roumaine, Humanitas, Bucarest, 1997, p. 64] La controverse caractérisant la société roumaine pendant la première moitié du XXe siècle concernant la relation entre la tradition indigène et les valeurs occidentales a été tranchée par le communisme dans le sens "pas d’Ouest, pas de tradition." [4. Ibidem, p. 65]. Les communistes roumains ont absolument opté pour le modèle communiste soviétique. Après la transition (1944-1947), l’histoire stalinienne s’est imposée. La place de l'histoire dominée par l'idée nationale a été prise par celle dominée par l'idée internationaliste. Les plus importantes réalisations nationales ont été interprétées uniquement en termes de lutte de classe. L'Union de 1859 a apporté des bénéfices à la bourgeoisie et à la noblesse mais pas aux masses populaires [5. M. Roller, L’Histoire RPR, Bucarest, 1952, p. 373] et l'Union de 1918 est considérée comme un fait impérialiste parce que la Bessarabie (lors de l'intervention impérialiste contre la révolution bolchevique en Russie) et la Transylvanie (suite à l'intervention pour supprimer la révolte en Hongrie) ont été occupées. Les scythes et les slaves ont toujours eu une influence sur notre histoire. Les Scythes nous ont appris la forge et les slaves ont eu un rôle déterminant dans le processus d'ethnogenèse. [6. Ibidem, p. 79] Un nombre important d'études et de travaux (dont certains écrits par de véritables autorités dans le domaine: Iorgu Iordan, George Călinescu, Alexandru Rosetti, Alexandru Graur) visent à souligner le rôle clé de la langue slave dans la formation de la langue roumaine. (Ces deux derniers ont une attitude plus modérée à cet égard). L’historiographie officielle n'a qu'un seul idéal, celui de révéler l'importance primordiale des voisins slaves (de l'est) pour tout ce qui signifie des réalisations dans « l’espace roumain ». Les érudits roumains parlaient le slave, les marchands kiéviens ont contribué au développement des villes dans les Pays roumains, les princes régnants roumains ont cherché l’amitié de la Russie, la modernisation des principautés est due au modèle russe, la lutte anti-ottomane a été un succès grâce au soutien de la Russie, l'art médiévale a été inspirée par celle russe et Cantemir a trouvé son accomplissement en Russie, Tudor Vladimirescu a été assassiné par les etheristes au service de l’espionnage anglais, le monarque Grigore Ghica le IVème est le serviteur flatteur de l'Autriche, les boyards étaient les Turcs à l'intérieur, l'indépendance est une affaire pour le roi Carol I et pour la bourgeoisie, la participation à la Première Guerre mondiale est impérialiste, agressive, prédatrice. [7. Georgescu V. op. cit. , pp. 28-38] C’est ainsi que l’histoire était dénaturée, instrumentalisée, mystifiée au cours des premières années du régime communiste. L’apothéose du processus d’instrumentalisation de l'histoire a été représentée par la glorification des influences russes (et soviétiques) sur les Roumains dans l'un des plus importants symboles nationaux - l'hymne national, appelé également l'hymne d’état ou de la RPR. Depuis la première année de scolarisation, les enfants doivent apprendre les vers mécaniquement: «notre peuple sera toujours le frère/du peuple soviétique libérateur/le léninisme est mon phare, ma force et mon élan " [8. Ibidem, p. 31 ].
Et si le peuple soviétique nous a libérés, le 23 août ne pouvait être autre chose que la réalisation des armées soviétiques libératrices et notre libérateur, comme celui d’autres peuples était Staline. Les grandes personnalités sont soit ignorées (Nicolae Iorga) soit critiqués violemment pour leur activité élitiste (Titu Maiorescu).
Après une brève période de relatif apaisement des tensions quand le système politique affaiblit d’une certaine manière la vigilance révolutionnaire et l'idéologie est absente parfois en laissant l'histoire un peu plus libre (1964-1971) et en créant l’impression d’une libéralisation (qui n'a pas accompli à réaliser la déstalinisation), le régime communiste en Roumanie (comme celui d’autres pays communistes) change les préoccupations du « internationalisme » au « nationalisme ». ”.[9. L. Boia, op. cit., Humanitas, Bucarest, 1997, p. 69]. Le choix du discours nationaliste a deux explications. Premièrement: le recours à l'histoire, au passé a été la plus simple tentative de détourner l'attention des difficultés du présent. Deuxièmement, le pouvoir communiste a besoin d’une légitimité et il la cherche dans le passé. Le nationalisme devient le plus fort argument historique et politique. L’idée dominante est l'unité. Les Roumains sont unis dans l'histoire (la lutte de classe est éludée ou ignorée), réunis autour du Parti et du dirigeant (le moment le plus important est août 1968). En tant que vrais spécialistes dans la psychologie des masses, les leaders communistes visent à inoculer aux roumains la vocation de l’unité, de la subordination de l’individu à l'organisme national. Le nationalisme devient l’instrument politique de légitimité et de domination. La tradition nationaliste s’est mélangée avec les buts suivis par la dictature communiste. [10. Ibidem, p. 74]. Mais en fait il ne s’agit pas d’une reprise mais d’une manipulation. [11. Ibidem]
Le nationalisme de «l’époque de Ceausescu» s’est manifesté sous la forme du protochronisme. Edgar Papu, D. Anghel, Ilie Bădescu, Dan Zamfirescu exagèrent au maximum les valeurs roumaines. Le modèle se retrouve dans l'URSS des années 1940-1950, mais les officiels roumains ne l'imitent pas car ils cherchent ses «arguments» dans l’autochthonisme du XIXe siècle. [12. K. Verdery, Compromise et résistance. La culture roumaine sous Ceausescu, Humanitas, Bucarest, 1994, p.152-155]. L’historiographie officielle a repris et développé la mythologie nationale du XIXe siècle, en la dénaturant et exagérant. C’est ainsi qu’elle a donné (pendant un bon moment) de la crédibilité et légitimité au régime et l’image d'un patriote à Ceausescu. [13. L. Boia, op. cit. , p. 82]. Tout peuple a eu et a encore besoin des mythes, toute communauté crée des mythes. Pendant les périodes plus troublées, pendant les âges qui se proposent des changements spectaculaires et quand la conscience collective est ébranlée, la création mythologique s’intensifie. Tantôt le pouvoir, afin de se légitimer, tantôt la communauté, afin de se défendre contre la pression du pouvoir, font appel à des mythes. [14. A. Zub, L’horizon clos. L’historiographie roumaine sous la dictature, l’Institute Européen, Iasi, 2000, p. 102] Ceauşescu voulait que les Roumains ont une histoire avec de grandes réalisations. On passe progressivement de l'interprétation sociale conflictuelle à l'interprétation nationaliste. Si pendant l’étape du communisme internationaliste, l’entre-deux guerres (par exemple) a été décrite comme une dominée par tous les maux, son image et son analyse ont été fortement améliorées pendant le communisme national. Les nouveaux travaux (la plus significative appartient à Mircea Muşat et Ion Ardeleanu) [15. M. Muşat, I. Ardeleanu, La Roumanie après la Grande Union, vol. I, II, Edition Scientifique et Encyclopédique, Bucarest 1983-1988], soulignent les réalisations de la démocratie bourgeoise (montrant également ses limites), l'importance de la réforme agraire et du développement industriel (avec les limites «inhérentes» et l'écho social de l’affirmation du prolétariat). Les deux moments très critiqués pendant les années ’70 c’est-à-dire le régime politique de Carol II et le régime Antonescu sont caractérisés plus doucement. Antonescu est semi-réhabilité, en mettant l'accent sur son patriotisme [16. A. Simion, des préliminaires politico-diplomatiques de l'insurrection roumaine d'août 1944, Dacia, Cluj-Napoca, 1979], des attitudes qui le rapproche, bien sûr, à Ceausescu. Les dirigeants du parti permettent qu’on dise des demi-vérité ou quarts-de-vérités sur les erreurs et les attitudes discrétionnaires de l'Internationale communiste, sur l'attitude antinationale (considérée comme une exagération due à des pressions du Komintern) du Parti communiste de Roumanie.
Le moment 23 août n’est plus dû à « l'armée soviétique libératrice », mais représente initialement une « insurrection armée antifasciste » et, enfin « la révolution de libération sociale et nationale antifasciste et anti-impérialiste [17. A voir le Magasin Historique, tous les numéros apparus au mois d'août à partir de 1971] avec le Parti communiste initiateur, organisateur et réalisateur de la victoire » depuis ce moment-la. [18. Ibidem] Le régime permet aussi certaines critiques par rapport à ce qui s'est passé pendant l’obsédante décennie. Sans rien écrire sur la destruction de l’élite roumaine pendant l’entre deux-guerres, le Parti communiste, représenté par Nicolae Ceauşescu, reconnaît « les abus et les pratiques » de Gheorghe Gheorghiu Dej et de la Sécurité dans le « cas Patrascanu ». [19. N. Ceauşescu, Le discours de la réunion plénière CC du PCR – avril 1968].
Les mythes sont idéologisés dans le cadre de l’historiographie communiste. Le mythe est adapté et dissimulé dans l'idéologie lorsqu’il explique la naissance du pouvoir, les origines des institutions et des lois et les idéologies sont généralement basées sur un mythe fondateur afin d’assurer la cohésion sociale et la conscience collective visant à légitimer l'ordre social. [20. S. Nicoară, T. Nicoară, Des mentalités collectives et l’imaginaire social. L’histoire et les nouvelles paradigmes de la connaissance. Cluj-Napoca, 1996, p.176]. Ainsi, les Daces et les Gets ont été un seul peuple conscient de leurs origines, ils parlaient la même langue, en étant les seuls du monde barbare à fonder un État centralisé. Pareillement, le peuple roumain a toujours voulu vivre dans un seul État unitaire et indépendant et pour ceci il a dû lutter sans relâche contre de nombreux ennemis, en particulier de l'extérieur. Le Parti communiste est le continuateur des traditions les plus nobles de lutte, unité et indépendance. Les mythes politiques peuvent être manipulés à des fins politiques, en étant utilisés en tant que facteurs de cohésion collective devant la menace de l'autre. [21. Ibidem, p. 177]. Tout le monde connaît les mythes de « l'unité inébranlable autour du parti et du dirigeant », celui de la « création du peuple unique travailleur» ou du «rêve d'or de l'humanité – le communisme ».
Les mythes politiques modernes ne se différencient pas beaucoup de ceux des sociétés traditionnelles. Les grands moments mythologiques correspondent aux phénomènes de crise, de mutation ou de rupture. Les plus connus ensembles mythologiques sont: La Conspiration, le Sauveur, l'Age d'or et l'Unité. [22. Ibidem, p. 179] Toute l'idéologie mythisée du régime communiste est influencée par la conspiration interne ou externe. L’ennemi du peuple, le koulak ou le bandit des montagnes sont les grands dangers pour le pouvoir communiste illégitime. Les ennemis externes, principalement l'impérialisme et ses agences d’espionnage, comme d’autres innombrables dangers et complots sont des sujets très appropriés pour que le pouvoir induise un état de peur, d'incertitude et de danger. Nous nous rappelons les processus politiques avec des actes d'accusation préfabriqués, les réunions du parti et de l'UTC afin de blâmer les ennemis du communisme, la condamnation des attitudes belliqueuses des Etats impérialistes, les processus publiques tenus dans le Foyer de la Culture ou les Maisons de Culture. Tous sont conçus pour maintenir et alimenter la crainte, pour induire dans l'esprit collectif l'idée de la nécessité de rassembler les lignes autour du parti et du dirigeant.
On cultive obstinément le mythe du Sauveur. Les gestes, les discours d’un tel personnage influencent la sensibilité des foules, en stimulant leurs émotions. Le Sauveur est soit un caractère individuel (dans notre cas, le dirigeant) soit un collectif [23. Ibidem, p. 181] (le peuple, le parti, la classe ouvrière, l’activiste de parti ou le révolutionnaire professionnel). En 1968, quand les armées du Traité de Varsovie ont envahi la Tchécoslovaquie, Ceausescu a ramassé devant le Comité central de Bucarest centaines de milliers de personnes. Il est le Sauveur, le dirigeant clairvoyant et patriote. Du mythe de l'âge d'or, la pureté des origines, le temps des ancêtres [24. Ibidem, p. 182], on passe au mythe du bon empereur. [25. D. Radosav, L’apparition de l’empereur, La presse Universitaire de Cluj 2002, pp.150-194] et inévitablement au mythe de «l’homme nouveau» des idéologies communistes ou le « surhomme » appartenant à l'idéologie nazie. On a mentionné à plusieurs reprises le mythe de l'unité si chère à l'historiographie officielle communiste. L’exacerbation de ce thème a une valeur d'exorcisme devant les forces centrifuges, des facteurs de divergence, de rupture, de séparatisme régional. [26. S. Nicoara, T. Nicoara, op.cit., p.185] On connaît les obsessions du pouvoir et automatiquement celles de l'historiographie officielle par rapport à cette question. Le programme PCR de construction de la société socialiste multilatéralement développée et l’orientation de la Roumanie vers le communisme insiste sur l'idée du «fil rouge» qui traverse toute notre histoire et qui est notre unité nationale. On passe de cette constatation à l’impulsion idéologique de l’unité autour du parti car ce n'est qu'ensemble que nous pouvons atteindre les grands objectifs de la construction du communisme dans un pays uni et indépendant. [27. Le programme PCR pour le développement d’une société socialiste multilatéralement développée et l’orientation de la Roumanie vers le communisme, Bucarest, 1974]. Les réactions de l’historiographie officielle par rapport aux allégations de certains historiens des pays voisins en ce qui concerne l'appartenance de la Transylvanie, la Bessarabie, la région de Dobroudja à la Roumanie sont également connues. Un domaine où l’instrumentalisation a excellé est celui du panthéon roumain. Les personnalités ont été mythisé et démythisé en fonction des intérêts politiques du régime. Il faut préciser que la mythisation des personnalités a également caractérisé l'historiographie pré-communiste. [28. L. Boia, op. cit. , pp. 224-259] Pendant la première phase du régime communiste (son étape internationaliste) les personnalités nationales ont été oubliées. On se souvenait des rois seulement pour leurs mauvaises actions. La même chose pour les Bratieni et les princes régnants du Moyen Age. Seulement quelques monarques: Jean Vodă le Terrible, Dimitrie Cantemir et très timidement Etienne le Grand ont attiré l'attention officielle due à l'attitude très dure envers les boyards (le prince Jean), les relations avec Pierre le Grand (Cantemir), les liens avec Kiev et les relations matrimoniales avec Moscou (Ştefan). La lutte de classe et les révolutions sont des «institutions» qui doivent produire des héros. Gheorghe Doja, Horia, Cloşca, Crişan, Tudor Vladimirescu sont valorifiés par l'historiographie communiste pour leurs entreprises sociales. En réécrivant la révolution de 1848, les communistes « valorisent » en intérêt propre, surtout Nicolae Bălcescu, mais aussi Ana Ipătescu et Gheorghe Magheru. Des héros de la classe ouvrière et du parti communiste sont recherchés. C’est très difficile à les trouver, à l ‘exception de quelques caractères obscures: Ştefan Gheorghiu, I.C. Frimu, Ilie Pintilie, Vasile Roaită. Le mythe de l’illégaliste est promu avec la même obstination. Parmi les leaders du parti, le seul à avoir réussi à assurer sa place incontestable dans le panthéon est Gheorghe Gheorghiu Dej. Tous les autres, du premier secrétaire général du Parti communiste jusqu’aux anciens rivaux (Ştefan Foriş, Lucian Pătrăşcanu) ou plus récents (Ana Pauker, Vasile Luca, Teoharie Georgescu) ont été ignorés. [29. Idem, (coordinateur), Les mythes du communisme roumain, vol. I-II, l’Université de Bucarest, 1995-1997]
Les héros du panthéon changent pendant l’étape nationaliste du communisme. Tudor Vladimirescu, Nicolae Bălcescu, Horea et d'autres sont maintenus, mais leurs actions sont abordées en particulier du point de vue national. Alexandru Ioan Cuza est entièrement récupéré. En cherchant des prédécesseurs parmi les grands monarques, Nicolae Ceauşescu demandait l'inclusion dans le panthéon des princes régnants: Michel le Brave (son portrait se trouvait sur le bureau du dictateur), Etienne le Grand, Vlad Ţepeş, Mircea le Vieux. Les dirigeants qui se sont occupés de la culture sont également «réhabilités»: Neagoe Basarab, Constantin Brâncoveanu, Decebal et surtout Burebista. Ceauşescu est devenu le leader le plus représentatif, comprenant toutes les qualités de tous ces prédécesseurs en commençant par Burebista. Du Panthéon manquent les dirigeants du XVIIIe siècle et les grandes personnalités (sauf les révolutionnaires et Al. I. Cuza) du XIXe siècle. Tous les «héros» communistes sont démythisés. Le seul communiste digne d'être mythisé est Ceauşescu. [30. Ibidem]
Le mythe du «révolutionnaire professionnel» est renforcé par le mythe de la révolution. L'historiographie officielle reçoit « l’indication » de transformer les mouvements sociaux les plus importants en révolutions: Bobâlna, le mouvement mené par Horea, Cloşca et Crişan, le mouvement dirigé par Tudor Vladimirescu et même la rébellion de 1907.
La mythisation de l’histoire génère l'histoire festive. Les rapports mythe - l'histoire festive incorporent des notions inspirées par l'ingérence du politique dans l'écriture historique. Tous les moments anniversaires consacrés à des événements historiques ont été hyperbolisés. Les événements historiques anniversaires poursuivaient un but précis. La succession des événements dans l'histoire-réalité était destinée à mettre en évidence l'avenir d'or du peuple roumain que le communisme seulement peut réaliser.
L'histoire réalité a été mystifiée (presque toujours et partout) à travers l'ethnocentrisme, la surenchère de la vision ethnique dans l’évaluation de l’histoire-réalité d'un peuple. L’approche ethnocentriste signifie la revendication non critique de sa propre histoire, conduisant à des faux historiques.
L’histoire festive occupe une place importante dans le processus d’instrumentalisation de l’histoire. L’histoire festive est élaborée pour inciter l'opinion publique à une certaine conscience politique et pour entretenir de manière permanente cette réalité. La conscience politique inoculée au peuple est modelée par le discours du pouvoir ou par l’idéologie dominante, dans notre cas l’idéologie communiste. Les fêtes et la célébration entraînent la vérité historique tant au niveau du discours historiographique, qu’au niveau du scénario et de la scénographie de la commémoration. Les cérémonies historiques sont politisées. Diverses institutions y participent: le parti, les structures d’État, les écoles, les organisations de masse etc. Par la participation des institutions se maintient le mythe historique et on assure sa reproduction dans le temps et l'espace. Célébrer un événement historique est un grand défi politique. La commémoration entretient le discours du pouvoir. Le discours public de l'historien est au service de la politique. Les événements sont déformés. Seules certaines séquences sont conservées, celles que le pouvoir politique a l'intention de les induire au public. La célébration contient un important élément conservateur. Ceux qui l’organisent ont l’intention d’inciter les participants à croire que les gens gardent l’exemplarité de l’événement qu’ils commémorent. Ainsi ce passé édifiant est transféré au présent et les vertus des précurseurs sont les mêmes avec celles des contemporains. Le même composant conservateur est illustré par la construction et le dévoilement des monuments commémoratifs, par la scénographie du cortège festif (avec la présentation des personnages de l’époque de l’événement), par la publicité insistante que le média fait à l’événement. Les anniversaires et les commémorations organisés avec aplomb dans la Roumanie communiste pour le 24 et le 26 janvier, le 8 et le 9 mai, le 23 août, le 30 décembre sont déjà célèbres.
A part ceux-ci, organisés chaque année s’ajoutent d'autres, une multitude, à l’occasion d’une célébration des chiffres ronds d'un événement particulier: 2050 ans depuis l’existence de l’Etat centralisé dirigé par Burebista, le centenaire de l'indépendance, 500 ou 600 ans depuis l’attestation documentaire d’une agglomération, 75 ans depuis la réalisation de la Grande Roumanie, 50 et 60 ans depuis la création du PCR. Le but de toutes ces commémorations est éminemment politique. Ils sont conçus pour renforcer l'unité nationale autour du parti et de son leader. Une expression péremptoire de l’instrumentalisation de l’histoire est la préoccupation du Comité central PCP à élaborer des plans annuels pour les anniversaires des événements historiques. Ces plans comprenaient des activités scientifiques, l’organisation de colloques et de concours spécifiques, le dévoilement de monuments et de plaques commémoratives, l’établissement de la production éditoriale dédiée à l’événement-là. De ce qui précède, on peut conclure que « l’histoire est un instrument du pouvoir » [31. L. Boia, op. cit., p. 275] ou que le pouvoir essaie de soumettre l’histoire. Beaucoup d’historiens ont réussi à éviter ces risques, mais la population a subi une propagande nationaliste, une virulente démagogie nationaliste. Le discours nationaliste et communiste a forgé à Ceausescu une aura de grand patriote et la mythologie historique forgée à cette époque-là a survécu. [32. Ibidem, pp. 81-82]
Récemment, la communauté des historiens est très préoccupée par la question de la manipulation de l’histoire. La préoccupation est double: l’instrumentalisation de l’histoire comme une science et la manipulation de celle-là en tant que discipline de l’enseignement. Pas l’histoire, mais l’écriture historique comme activité humaine sont manipulatrices par nature. Ce caractère est exigé à l’écriture historique par la commande politique. La plus vulnérable à un contrôle politique est l’histoire comme une discipline d'enseignement. [33. Voir A. Petric, G. Ioniţă, L’histoire contemporaine de la Roumanie, Manuel pour la seconde année, Edition Didactique et Pédagogique, Bucarest, 1985].



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